Règlement des litiges fiscaux en Afrique francophone : quels modes alternatifs?
Les lourdes conditions d’accès au contentieux fiscal de droit commun imposées par certaines juridictions incitent les entreprises à explorer les modes alternatifs de règlement de leurs litiges fiscaux.
Les points clés
En fixant des conditions financières élevées pour l’octroi d’un sursis de paiement dans l’attente d’une décision de justice (dans un contexte où les redressements confirmés sont parfois très élevés) et en l’absence, souvent, de juridictions spécialisées, certains États découragent encore l’accès au contentieux fiscal de droit commun.
Les entreprises sont ainsi incitées à explorer d’autres modes de règlement de leurs litiges fiscaux, voire en dernier ressort à transiger.
Lorsque la protection d’un investissement étranger ou les dispositions d’une convention fiscale sont en cause, le recours à l’arbitrage ou à une procédure amiable conventionnelle peuvent être des atouts précieux.
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Certaines législations d’Afrique francophone découragent encore l’accès au contentieux fiscal de droit commun, en posant parfois de lourdes conditions à l’octroi d’un sursis de paiement des redressements contestés : paiements préalables de 15 % à 20 %, garanties bancaires nécessitant de bloquer les fonds, droits proportionnels à payer [1].
Ces restrictions, qui s’ajoutent à l’aléa inhérent à l’absence, le plus souvent, de juridictions spécialisées en matière fiscale constituent un frein à l’émergence, attendue, d’une jurisprudence fiscale constituant un élément essentiel de la sécurité juridique. Compte tenu de ces difficultés, les entreprises se voient parfois contraintes à explorer les modes alternatifs de règlements de leurs litiges avec les administrations fiscales, voire en dernier ressort à transiger.
L’arbitrage international : lorsque des dispositions conventionnelles y donnent accès
Pour garantir la bonne exécution de dispositions fiscales insérées dans des accords d’investissement conclus entre un investisseur et un État, dans un contexte où les juridictions étatiques peuvent souffrir d’une crainte de partialité (en particulier en matière fiscale), les législations d’Afrique ont consacré la compétence des instances arbitrales, présumées neutres, pour régler des différends nés de ces conventions particulières.
Même si les États sont souvent tentés de considérer ex post que les litiges fiscaux sont «non arbitrables» car touchant à leur souveraineté, la plupart des juridictions ayant ratifié la Convention de New York du 10 juin 1958 n’ont pas expressément classé les litiges fiscaux comme non arbitrables.
Dès lors qu’une clause contractuelle prévoit de manière générale le recours à l’arbitrage pour régler « tous les différends découlant du présent accord », l’arbitrage doit être considéré possible, sous réserve que le litige soit bien lié à l’interprétation des dispositions fiscales de la convention d’investissement en cause.
À titre d’illustration, une récente décision de justice (Webcor c. la Commune de Libreville, 25 mai 2021, RG 29/18708) a reconnu (sur ce point) la validité d’une sentence arbitrale rendue par la CCI (n° 21458/MCP/DDA) portant sur des questions fiscales de droit gabonais.
Au-delà des clauses d’arbitrage insérées dans des contrats liant directement l’investisseur et l’État, les traités bilatéraux de protection des investissements peuvent également permettre de recourir à l’arbitrage (près de 80 traités bilatéraux conclus par les pays d’Afrique francophone contiennent une clause d’arbitrage Cirdi), notamment dans le cas extrême où un redressement aurait pour effet de conduire à une expropriation (près de 80 traités bilatéraux conclus par les pays d’Afrique francophone contiennent une clause d’arbitrage Cirdi).
À titre d’illustration, le Cirdi a jugé qu’un redressement fiscal de nature à affecter de manière substantielle la capacité opérationnelle d’une entreprise pouvait équivaloir à une mesure entraînant une expropriation indirecte (Señor Tza Yap Shum c./République de Pérou, Cirdi, ICSID Case No. ARB/07/6, sentence du 7 juillet 2011).
Procédure amiable conventionnelle : lorsque les dispositions d’une convention fiscale sont en cause
Lorsqu’un chef de redressement retenu par un État n’est pas conforme aux dispositions d’une convention fiscale tendant à éviter les doubles impositions, la procédure amiable (article 25 du modèle OCDE) permet au contribuable de saisir son État de résidence afin qu’il s’efforce, par le dialogue, d’aboutir à une entente avec l’autre État.
Au-delà de l’intérêt de placer le débat à un niveau international, la procédure amiable peut présenter (dans de rares cas toutefois) l’avantage de suspendre l’établissement des impositions litigieuses.
Si cette procédure ne fait peser qu’une obligation de moyens pour les États en cause, il est intéressant de noter que le nouvel instrument multilatéral propose d’instituer, dans le même objectif, une véritable procédure d’arbitrage contraignante. À ce stade, aucun pays d’Afrique n’a toutefois retenu cette possibilité.
Côté français, en pratique les entreprises qui contestent les conditions d’application d’une convention fiscale par un autre État peuvent saisir le «guichet international» de Bercy (Bureau SJCF 4B), dont les moyens ont été récemment renforcés et qui peut aider à trouver une solution au litige.
Les organes internes de médiation : une nouveauté dans certaines juridictions
Sous l’impulsion de l’Acte uniforme Ohada du 23 novembre 2017 relatif à la médiation, certaines juridictions d’Afrique ont d’ores et déjà introduit dans leur ordre juridique des dispositifs spécifiques de médiation en matière de litiges fiscaux. C’est le cas du Cameroun qui a récemment consacré la médiation fiscale (LDF 2020 – article L 140 bis du LPF) permettant aux parties, en phase contentieuse devant les juridictions, de solliciter l’intervention d’un tiers médiateur pouvant aboutir à la conclusion d’un accord et au règlement amiable de leur litige. Les textes d’application de cette procédure doivent toutefois encore être publiés.
Le Bénin a quant à lui maintenu dans son nouveau code général des impôts (Loi n° 2021-15 du 23 décembre 2021) la possibilité de saisir pour avis la Commission des impôts lorsqu’un désaccord subsiste au cours d’une procédure de rectification.
La transaction
Les législations d’Afrique francophone n’encadrent le plus souvent les transactions qu’en matière gracieuse, limitée à la remise de pénalités (par exemple article 419 du LPF du Togo); il est plus rare que des transactions destinées à mettre fin à un litige par des concessions réciproques (à l’instar de ce qui est prévu par le code civil), y compris sur les droits, soient encadrées.
Il est intéressant de noter que le Cameroun a expressément introduit la possibilité de transiger sur les « impositions » de façon générale (droits et pénalités), sur décision du Ministre des finances après proposition du Directeur général des impôts (article L.125 du LPF).
[1] Certaines législations, à l’instar de celles de la Cote d’Ivoire, du Sénégal ou du Bénin n’exigent que la constitution de garanties, permettant aux entreprises de recourir plus facilement au contentieux fiscal de droit commun (sous réserve toutefois que le montant des redressements maintenus le permette).
François NOUVION
Avocat associé