Les pactes d'actionnaires dans l'espace OHADA : enjeux et perspectives
Les pactes d’actionnaires, dont la validité a été consacrée le 5 mai 2014 en droit OHADA (par l’entrée en vigueur de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE – AUSCGIE), constituent, désormais, un outil incontournable de gouvernance d’entreprise et essentiel au développement d’opérations de « capital investissement » en forte croissance dans l’espace OHADA.
Les points clés
La validité des pactes d’actionnaires est désormais expressément reconnue dans l’espace OHADA, permettant aux actionnaires d’organiser de façon souple et confidentielle leurs relations et les modalités d’accès au capital propres à favoriser le développement du « capital investissement » dans l’espace OHADA.
La rédaction d’un pacte d’actionnaires est délicate, elle doit notamment être envisagée en confrontant les dispositions impératives de l’AUSCGIE et tenir compte de certaines clauses devant obligatoirement figurer dans les statuts.
La mise en place d’un pacte d’actionnaires peut être utilement complétée par le recours aux actions de préférence et aux valeurs mobilières composées.
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Un pacte d’actionnaires est une convention conclue en dehors des statuts pour organiser les règles de gouvernance et d’accès au capital d’une société. D’une grande flexibilité, les pactes peuvent ainsi, contrairement aux statuts, rester confidentiels et ne concerner que certains actionnaires.
Reconnaissance de la validité des pactes d’actionnaires en droit OHADA
Avant la réforme de l’AUSCGIE, seule la référence au droit commun des contrats permettait de défendre la validité des pactes d’actionnaires. L’absence de leur reconnaissance en droit des sociétés privait toutefois de sécurité le recours à cet outil si important d’organisation des relations entre actionnaires (même si un arrêt du 19 juin 2009 de la Cour d’Appel de Ouagadougou n°037/09 en avait reconnu la validité). La réforme de l’AUSCGIE du 5 mai 2014 a donc expressément consacré leur validité.
Contenu et limites des pactes d’actionnaires
Par la conclusion d’un pacte d’actionnaires, les actionnaires (ou certains d’entre eux) peuvent désormais librement prévoir d’organiser (article 2-1 de l’AUSCGIE) :
- Les relations entre associés ;
- La composition des organes sociaux ;
- La conduite des affaires de la société ;
- L’accès au capital ;
- La transmission des titres sociaux.
Cette liberté d’organisation, par un pacte séparé (extra-statutaire) et par nature confidentiel, se trouve toutefois encadrée :
- d’une part, par les dispositions impératives auxquelles l’AUSCGIE prévoit qu’il ne peut être dérogé (l’AUSCGIE précisant que toute clause contraire est, selon le cas, nulle ou réputée non écrite). Il n’est par exemple pas possible de déroger dans un pacte à la compétence réservée à l’Assemblée générale extraordinaire d’une société pour modifier les statuts.
- d’autre part, si l’AUSCGIE prévoit que certains mécanismes peuvent alternativement être introduits dans les statuts ou dans un pacte d’actionnaires (par exemple un droit de préemption ou une clause d’inaliénabilité) d’autres mécanismes sont expressément réservés aux statuts et ne peuvent être introduits dans un pacte. Il s’agit, par exemple, des clauses d’agrément dont l’AUSCGIE impose qu’elles soient statutaires et donc en principe partagées entre tous les actionnaires.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons souhaité aborder quelques-unes des problématiques que nous avons rencontrées depuis la mise en place de l’AUSCGIE révisé.
Droits de véto
Des actionnaires minoritaires (c’est le cas des fonds de « capital investissement » investissant aux côtés des fondateurs) peuvent légitimement souhaiter se voir accorder un droit de véto sur certaines décisions importantes, ce qui suppose de s’accorder pour convenir de règles de majorité renforcées.
Dans les SA (où une majorité des 2/3 est par exemple requise en Assemblée générale extraordinaire), une interprétation stricte des dispositions de l’AUSCGIE conduit à penser que l’instauration d’un droit de véto (par exemple l’unanimité) serait contraire aux règles de majorité présentées comme impératives par l’AUSCGIE (toutes dispositions contraires étant réputées non écrites, le droit de véto pourrait ainsi se trouver privé de toute efficacité).
Afin d’éviter cette difficulté, il peut « en pratique » être envisagé :
- d’organiser dans le pacte d’actionnaires un droit de véto des membres du Conseil d’administration (à répliquer mutatis mutandis dans les statuts qui peuvent prévoir des votes à l’unanimité), assorti notamment de sanctions spécifiques (clause pénale), permettant de contrôler certaines décisions relevant du Conseil d’administration mais aussi de contrôler le pouvoir du Conseil d’administration de convoquer une Assemblée générale sur un sujet particulier.
- de recourir à la SAS (notamment lorsque la société n’est pas cotée) dont les statuts peuvent déroger (contrairement aux SA) aux règles de majorité de l’AUSCGIE et instaurer des droits de véto (cf. article 853-11 alinéa 1 de l’AUSCGIE).
Clauses de sortie
Agrément : les clauses d’agrément dans les SA ne peuvent être prévues que dans les statuts (et pas seulement dans un pacte d’actionnaires). En pratique, les dispositions des pactes d’actionnaires prévoyant des modalités d’agrément de nouveaux actionnaires doivent donc être répliquées mutadis mutandis dans les statuts en s’orientant vers l’agrément du Conseil d’administration (où l’unanimité est possible) ou de l’Assemblée générale à condition de réunir une majorité suffisante.
Par ailleurs, il est important de relever que la clause d’agrément ne peut concerner que les cessions à des tiers et pas entre actionnaires (toute cession réalisée en violation de la clause statutaire est nulle cf. article 771-1-1 de l’AUSCGIE), un pacte ne pouvant déroger à ce principe.
Préemption/inaliénabilité : les clauses de préemption ou d’inaliénabilité (cette dernière étant limitée à 10 ans et devant être justifiée par un motif sérieux et légitime) peuvent être stipulées dans un pacte ou dans les statuts. Elles peuvent donc rester confidentielles vis-à-vis de certains actionnaires et de telles clauses contenues dans un pacte n’ont pas (à la différence des clauses d’agrément) à être répliquées mutadis mutandis dans les statuts.
Enfin, les parties peuvent librement convenir de clauses spécifiques de sortie conjointe ou forcée (« drag along », « tag along », « call », « put », etc.).
Les pactes d’actionnaires peuvent-ils être soumis à un droit étranger (hors OHADA) ?
Il n’est pas rare lors d’opérations impliquant des groupes multinationaux que les investisseurs choisissent de s’associer à travers un véhicule étranger (hors zone OHADA) et concluent à cet effet un pacte d’actionnaires principal (pacte « cadre ») organisant les relations entre les actionnaires au niveau de la société holding étrangère. Ledit pacte contenant le plus souvent des modalités d’organisation des filiales locales, se pose la question de la reconnaissance des pactes d’actionnaires de droit étranger dans l’espace OHADA.
L’AUSCGIE ayant consacré la validité des pactes d’actionnaires sans ajouter de condition spécifique tenant à leur formation ou au droit auquel ils doivent être soumis, il convient de se référer au droit des contrats de l’Etat Partie dans laquelle la société est immatriculée pour vérifier s’il reconnait la validité des pactes soumis à un droit étranger choisi par les actionnaires. Ces pactes peuvent en général être reconnus valables lorsqu’il existe un intérêt légitime à choisir un droit étranger et sous réserve de ne pas contrevenir aux dispositions d’ordre public de l’État Partie.
A défaut de reconnaissance possible, un pacte spécifique soumis au droit OHADA doit être mis en place.
Inobservation du pacte d’actionnaires: simples dommages et intérêts ou exécution forcée
A l’exception des nullités expressément prévues par l’AUSCGIE en cas de violation des clauses de préemption et inaliénabilité, la sanction de l’inobservation des dispositions d’un pacte d’actionnaires renvoie au droit des obligations de l’État-Partie concerné, qui le plus souvent conduit à des dommages et intérêts en cas d’inexécution.
La question de la possibilité d’obtenir auprès du juge l’exécution forcée du pacte reste ouverte (l’AUSCGIE ne précisant rien à cet égard), cette possibilité ayant déjà été admise par la jurisprudence précitée de la Cour d’Appel de Ouagadougou (ayant ordonné la cession forcée d’actions en application d’un pacte).
En tout état de cause, des sanctions peuvent être convenues à l’avance dans le pacte pour le renforcer (clause pénale prévoyant le paiement d’une somme d’argent fixée à l’avance en cas d’inexécution contractuelle).
Si les pactes d’actionnaires ont une utilité incontestable, ils ne peuvent parfois à eux seuls suffire à résoudre toutes les problématiques rencontrées et peuvent être complétés par d’autres outils récemment introduits en droit OHADA (notamment les actions de préférence et les valeurs mobilières composées).
François NOUVION
Avocat associé