Locations internationales d’équipements industriels
points d’attention fiscaux en Afrique francophone
Le recours à la location internationale d’équipements industriels s’impose dans certains secteurs (hydrocarbures, mines, portuaire, construction, aérien, etc.) requérant l’utilisation temporaire d’équipements coûteux ayant vocation à une utilisation multi-juridictions. Le caractère transfrontalier et intragroupe de ces transactions (les équipements étant détenus en pleine propriété par une société du groupe) nécessite une attention particulière en matière fiscale.
Les points clés
Lorsque la location s’accompagne d’autres prestations, notamment de la mise à disposition de personnel qualifié, le risque de caractérisation d’un établissement stable doit être mesuré pour le loueur.
A défaut de caractérisation d’un établissement stable du loueur, une retenue à la source sera précomptée par le preneur (sauf convention fiscale). D’importantes limitations de déductibilité pour le loueur sont parfois applicables (zone CEMAC notamment).
Les mode, durée et lieu d’utilisation de l’équipement, notamment en mer ou haute mer, peuvent s’avérer des éléments clés de l’analyse.
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Certains équipements industriels (RIG de forages, grues, matériel/engins d’analyse, etc.) n’ont pas vocation à être détenus localement en pleine propriété compte tenu de leur usage purement temporaire et de leur vocation à être utilisés successivement dans plusieurs juridictions. Au sein des groupes de sociétés, une société patrimoniale met à disposition des entités du groupe les équipements nécessaires via des contrats de mise à disposition/louage.
Risque de caractérisation d’un établissement stable du loueur dans l’état du preneur
Lorsque la location d’équipements s’accompagne d’autres prestations, en particulier de la mise à disposition de personnel qualifié, une attention particulière doit être portée à l’étendue précise des prestations effectuées afin de prévenir la caractérisation d’un établissement stable imposable localement.
Lorsque l’activité du loueur dépasse le cadre du simple louage, et que, par exemple, le personnel mis à disposition participe aux décisions concernant le travail pour lequel est utilisé l’équipement, ou fait fonctionner, surveille ou entretient l’équipement sous la responsabilité et le contrôle du loueur, ce dernier pourra être regardé comme effectuant dans l’État du preneur une véritable activité d’entreprise taxable dans cet État (Commentaires OCDE 2017, C (5) n°36).
Dans certains secteurs spécifiques, le pétrole notamment, des régimes spécifiques permettent une imposition locale sur un mode forfaitaire (IS/IRPP) pouvant rendre attractive la caractérisation d’un établissement stable (par exemple en Côte d’Ivoire et au Congo – le régime RFS gabonais a été supprimé à compter du 1er janvier 2022).
Retenues à la source applicables dans l’Etat du preneur
Au sens des conventions fiscales, l’activité de location constitue en principe une prestation de service dont la rémunération n’est imposable, au titre des bénéfices d’entreprise, que dans le seul Etat du loueur (sous réserve que celui-ci ne détienne pas d’établissement stable dans l’Etat du preneur du fait de son activité, c.f. supra).
Plusieurs conventions fiscales conclues par des Etats d’Afrique francophone dérogent toutefois au modèle OCDE en assimilant expressément à la catégorie des redevances les « rémunérations de toute nature payées […] pour l’usage ou la concession de l’usage d’un équipement industriel, commercial ou scientifique » (par exemple Cameroun-Canada/France, Côte d’Ivoire-Royaume-Uni). Lorsqu’une telle assimilation est faite, les loyers versés au loueur pourront faire l’objet d’une retenue à la source dans l’Etat du preneur, avec crédit d’impôt imputable dans l’État du loueur.
Nota : des divergences d’interprétation avec certains Etats d’Afrique francophone sur le champ d’application desredevances (telles que définies par les conventions fiscales, autorisant l’Etat de source à pratiquer une retenue) ont pu générer des doubles impositions lorsque des retenues à la source ont été pratiquées alors que la convention fiscale n’assimilait pas les locations à une redevance (Voir arrêt du Conseil d’Etat français du 12.10.2018 Smith International,pour le cas d’une location de matériel de forage au Cameroun, Congo, Algérie soumise localement à retenue à la source mais dont la France a rejeté l’imputation en crédit d’impôt car précomptée en contravention avec la convention fiscale).
TVA & Douane
Le service étant par principe utilisé/rendu localement sur le territoire du preneur, la TVA locale (ainsi que les taxes associées, par exemple la CSS gabonaise) est exigible. Elle est due par le preneur pour le compte du loueur (mécanisme de « TVA pour compte de tiers » – avec parfois certaines limites de déductibilité pour certains services déjà disponibles localement).
En matière douanière, les équipements loués pourront bénéficier des régimes suspensifs spécifiques (régimes d’admissions temporaires ATN/ATS), voire de taux réduits dans certains secteurs (pétrole & mines).
Limitations spécifiques aux flux intra-groupes
Limitation de déductibilité des loyers en zone CEMAC
Certaines juridictions limitent fortement la possibilité, pour l’entité preneur (établie localement) de porter en déduction de son résultat imposable les sommes payées au titre de la location d’équipements, lorsque les sommes sont payées à ses associés (interdiction au Cameroun ; limitation aux annuités d’amortissement au Gabon).
- Prix de transfert
Dans une affaire récente concernant la politique de prix de transfert d’une société française qui réalisait des opérations de forage au Gabon par l’intermédiaire d’un établissement stable (CAA Versailles, 1re ch., 5 juill. 2022, n° 20VE02832), il a été jugé que, compte tenu des fonctions et des risques jugés limités de l’établissement, l’allocation des bénéfices devait être déterminée selon une méthode basée sur les coûts de l’établissement, augmentés d’une marge (établie à partir d’un panel de comparables).
Définition du territoire douanier et fiscal : cas particulier des biens situés en mer
Lorsque l’équipement loué fait l’objet d’un transit ou, selon les cas, d’une exploitation en mer, une attention particulière doit être portée aux textes régissant le champ d’application territorial des droits fiscaux et douaniers de l’Etat du preneur (Codes douaniers, Codes de la marine marchande, Codes des hydrocarbures, lois instituant une ZEE, convention de Montego Bay, etc.).
Il convient d’être attentif au lieu précis de situation du bien, la zone maritime étant déterminée en fonction de sa distance avec l’Etat côtier. Par ordre de proximité avec la côte il est ainsi possible de distinguer les eaux territoriales (jusqu’à 12 nautiques), la zone contiguë (24 nautiques, correspondant généralement à la zone de contrôle en matière fiscale et douanière), la zone économique exclusive (200 nautiques) et le plateau continental, étant précisé que les règlementations douanières peuvent fixer un « rayon douanier » propre.
La convention internationale sur le droit de la mer (Montego Bay, articles 60 et 80) autorise en outre à réglementer en matière douanière et fiscale les « iles artificielles » (dans la zone exclusive, voire sur le plateau continental jusqu’à 350 milles).
Cession de l’équipement en cours de location
En cas de cession du bien en cours de location une attention très particulière doit être portée aux risques associés en termes douaniers (risque de remise en cause des régimes suspensifs, mise à la consommation) et fiscaux (IS, droits d’enregistrement).
Règlementation des changes
Un contrôle spécifique formel des contrats de location peut être opéré par les banques locales (qui exigeront le plus souvent la production d’un contrat de location dûment enregistré auprès de l’administration fiscale locale avant d’exécuter les transferts), étant précisé que certaines juridictions prévoient également un contrôle de la matérialité du service rendu (la règlementation des changes de la CEMAC prévoit à cet égard des sanctions pouvant aller jusqu’à 100% du prix de la prestation).
François NOUVION
Avocat associé