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Fiscalité internationale des redevances, un cluster de double imposition

Les divergences d’interprétation entre la France et certains États d’Afrique sur le champ d’application des redevances (telles que définies par les conventions fiscales, autorisant l’État de source à pratiquer une retenue) font courir un risque de double imposition pour les entreprises françaises qui peuvent se voir corrélativement contester le droit à imputer en France les retenues prélevées à l’étranger.

Les points clés

La notion de redevances (pouvant faire l’objet de retenues à la source dans l’État du client même si le prestataire n’y est pas établi) fait souvent l’objet d’interprétations divergentes entre la France et certains États d’Afrique.

Le risque de double imposition qui en découle peut affecter la compétitivité des entreprises françaises, notamment dans le cadre de leurs réponses aux appels d’offres internationaux.

Ce risque peut être atténué par un découpage précis des prestations rendues et une attention particulière aux libellés utilisés dans les contrats.

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Alors que les conventions fiscales attribuent au seul État du prestataire le droit d’imposer les prestations relevant de la catégorie des bénéfices des entreprises, celles pouvant être qualifiées de redevances au sens que leur donne la convention fiscale peuvent faire l’objet de retenues à la source localement dans l’État du client.

Les divergences de qualifications entre États portant sur la notion de redevances peuvent engendrer des doubles impositions, la France contestant le droit à récupération en crédit d’impôt des retenues effectuées à l’étranger lorsqu’elle estime (parfois à tort) qu’elles sont non conformes aux dispositions des conventions fiscales.

Du côté français, une interprétation stricte et parfois restrictive de la notion de redevances: l’exemple de la maintenance de logiciels

Dans une affaire récente, une société française d’édition de logiciels avait facturé à ses clients marocains des prestations de maintenance de logiciel, traitées au Maroc comme des redevances pour lesquelles la convention fiscale autorise la perception d’une retenue à la source.

Le juge de l’impôt français a considéré au contraire que ces rémunérations devaient être qualifiées de simples bénéfices d’entreprise au sens de la convention, non soumises à retenue à la source au Maroc et ne pouvant donc donner lieu à imputation d’un crédit d’impôt en France (CAA Versailles, 4 juin 2019, n°17VE01685, SA Sopra Steria Group).

Pour rejeter la qualification de redevances, la Cour a relevé que l’objet de la prestation de maintenance «  n’est pas d’accorder ou d’étendre un droit d’auteur », ni de fournir des « études techniques » (assimilées au régime des redevances par la convention franco-marocaine), mais simplement de fournir, séparément de la licence du logiciel et de façon optionnelle, un service relevant de « l’assistance technique » dans le cadre de la maintenance corrective et évolutive dudit logiciel.

Le raisonnement suivi par la Cour présente l’inconvénient de ne pas tirer les conséquences de la sous-distinction qui peut être faite entre les prestations de maintenance corrective et évolutive.

La maintenance corrective se limite à corriger des erreurs présentes dans le logiciel alors que la maintenance évolutive suppose au contraire des améliorations qui ne sont pas nécessaires à son fonctionnement. Par suite, la maintenance évolutive aurait probablement mérité de relever du régime des redevances (la rédaction du contrat jouant néanmoins un rôle clé en la matière). Un pourvoi ayant été déposé devant le Conseil d’État, cette problématique mérite d’être suivie.

Du côté des États d’Afrique, une interprétation souvent extensive de la notion de redevances

Certains États d’Afrique ont une vision étendue du champ d’application des redevances, au service parfois de politiques de retenues à la source quasi systématiques. Les entreprises étant d’autant plus enclines à payer des retenues en présence d’une réglementation des changes stricte qui leur impose de fournir la preuve du paiement d’un impôt avant de pouvoir rapatrier les sommes perçues.

Cette problématique est source d’insécurité juridique pour les entreprises françaises alors exposées au risque de voir ces retenues déclarées non conformes aux dispositions conventionnelles et par suite non imputables en France.

Dans une affaire récente jugée par le Conseil d’État français, des retenues à la source opérées au titre de prestations de négoce et de location de matériel de forage réalisées par une société française en Algérie, au Cameroun et au Congo ont donné lieu au rejet, en France, de leur imputation en crédit d’impôt au motif que les rémunérations constituaient non des redevances mais des bénéfices d’entreprise exclusivement imposables en France. Le juge de l’impôt a finalement admis la déduction en charge de ces retenues pratiquées à tort (Conseil d’État, 9ème – 10ème ch., 12 octobre 2018, 407903, Smith International France).

Le cas particulier des études techniques

Plusieurs conventions fiscales conclues avec des pays d’Afrique intègrent les études techniques dans le champ des redevances, ce qui donne également lieu à des divergences d’appréciation entre États.

En l’absence de définition expresse, certaines administrations fiscales considèrent que des études ou analyses « internes  » au prestataire, nécessitées par les travaux qu’il s’est engagé à effectuer (mais dont il établit des rapports pour le client), constituent des études techniques pouvant être soumises à retenue à la source. Reste qu’en France, ces «  études » non fournies pour les besoins de l’exploitation du client seront traitées comme de simples bénéfices d’entreprise ne donnant pas droit à imputation en crédit d’impôt de la retenue irrégulièrement supportée.

Afin de limiter les conflits de qualification, un échange de lettres conclu le 21  janvier  2019 entre la France et le Maroc a précisé la notion d’études techniques, les définissant comme «  toute analyse ou recherche spécifique de nature technique » au cours de laquelle le prestataire « utilise ses connaissances particulières en lien avec un projet et permet à l’autre partie de disposer de celles-ci de façon autonome. L’étude technique se distingue de l’assistance technique, dont la rémunération entre dans le champ de l’article 10 de la convention. Le preneur, s’il choisit de réaliser ce projet sur la base de cette étude peut l’accomplir seul […] ».

Procédure amiable ou simple charge déductible, des remèdes insuffisants

Les conventions fiscales permettent au contribuable de solliciter un règlement amiable entre les administrations concernées qui doivent alors s’efforcer de trouver une solution à un éventuel conflit de qualifications. L’issue d’une telle procédure, très longue par ailleurs, demeure très incertaine.

Quant à possibilité de déduire la retenue à la source de la base imposable de l’impôt sur les sociétés français, désormais admise en France alors que l’administration française en contestait le principe (cf. supra), elle peut apparaitre comme une maigre consolation pour l’entreprise (même si une charge déductible peut parfois s’avérer plus intéressante qu’un crédit d’impôt non imputable en l’absence de bénéfices et non reportable).

Vigilance dans la rédaction des contrats de prestation

Ces difficultés incitent à faire preuve d’une grande vigilance dans la rédaction des contrats. Même si la réalité juridique des opérations doit en principe primer, un libellé non ambigu des prestations peut parfois permettre d’éviter un débat délicat.

François Nouvion
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